Avis d'expert

Que faire quand mon enfant a vu du contenu inapproprié

parents
12 MIN

Julie Renauld est thérapeute systémique. Elle accompagne adultes et enfants lorsque les difficultés du quotidien deviennent des freins. Elle est notamment membre de l'association Discipline Positive France et accompagne des parents sur les problématiques de parentalité, ainsi que des enseignants et des équipes pédagogiques dans les écoles. Auprès des entreprises et institutions, elle anime aussi des ateliers pour aider les collaborateurs parents à concilier vie professionnelle et vie familiale.


Chez 1,2,3 kiD, on adore sa franchise couplée à un sens pédagogue sans pareil. Pour notre thématique les enfants et les écrans, elle a accepté de nous donner ses meilleurs conseils sans langue de bois, et nous raconte son vécu de thérapeute - comme celui d'une mère puisqu’elle a 2 enfants de 7 et 9 ans.  

 

Règle numéro 1 : Anticiper au maximum

  • Quelle est la règle principale quand il s'agit de protéger ses enfants des contenus inappropriés?

JR: Il faut anticiper au maximum le dialogue avec ses enfants, dès lors qu'on leur donne accès aux écrans. Donc évidemment le premier message c'est de reculer le plus longtemps possible l'accès même à ces écrans. Parce qu' à partir du moment où ils mettent un pied dedans après ça va être compliqué de réguler, donc plus on va pouvoir reculer, repousser l'âge, mieux ça sera. Et s’ils sont équipés d’un iPad, à partir du premier jour où ils y ont accès, on dialogue et on communique sur quoi il pourrait tomber par inadvertance.


J’aime bien faire l'analogie avec une voiture : c'est comme si on donnait les clés de voiture à notre enfant sous prétexte qu’il sait conduire dans le jardin. Pour autant on ne va pas lui donner les clés de la BMW et lui dire vas sur l'autoroute :  donc c'est vraiment lui confier dans les mains un engin dont il n'a aucun contrôle et dont il ne connaît absolument pas les ressorts.


Quand ils tombent sur de la pornographie par inadvertance…

  • Quand ils tombent sur des contenus inappropriés par inadvertance comme la pornographie, comment gérer la situation?

J.R : Par rapport à la pornographie, sur le fait de voir des gens nus : il faut l’expliquer avec des mots simples. A partir de 4-5 ans ils sont capables d’entendre : 

“Quoi que tu fasses même si t'as pris l'iPad en cachette etc… si tu tombes sur quelque chose qui t'a surpris, les gens nus notamment, surtout tu m'en parles. Pourquoi ? Parce qu'il y a des tas de gens malveillants qui vont poster des trucs qui vont pouvoir te donner des cauchemars, qui peuvent effrayer où te de te donner une mauvaise idée de de de la vie.”

Si l'enfant a peur parce qu'il a piqué l'iPad  et qu'il n'a pas le droit de le faire puis tombe sur du contenu pornographique, il sait qu'il est fautif, et il risque de ne pas le dire. 

 

On utilise des mots simples, on les prévient de ce sur quoi on peut tomber et on leur dit que jamais on ne les grondera. Pour ça, il faut vraiment que la porte reste ouverte.


Évidemment, en amont, on met tout ce qu'on peut mettre en place comme contrôles parentaux, barrières etc..pour éviter au maximum ces images. 

Ce n’est pas inutile de le dire parce que souvent, les parents sont assez cool en disant « non mais c'est bon le mien il va sur youtube Kids ». Je vois beaucoup beaucoup de parents laxistes - ce n’est pas une critique !- se disant « non mais ce n’est pas méchant » et ils ne se rendent pas compte de la vitesse à laquelle les enfants comprennent le système. Ils comprennent qu'en effectuant une simple recherche sur Safari, ils peuvent accéder à une multitude de contenus. Ce n’est pas forcément intentionnel et c'est ça le problème de la pornographie. Car avant un certain âge, ce n’est pas eux, ce ne sont pas les enfants qui vont vers la pornographie, c'est la pornographie qui va venir vers eux et qui va s'inviter entre 2 contenus, entre 2 Peppa Pig. 


Et si il tombe dessus, on anticipe et on en parle, en lui disant qu’on ne va pas se fâcher. 

Quand c’est eux qui vont voir de la pornographie…

  • Et lorsqu'il vont en voir de leur plein gré?

JR: On peut mettre tous les contrôles qu'on veut, il y a un moment où ils vont être plus malins que nous. Quand ils vont arriver à l'adolescence, ils vont savoir craquer tous les verrous et puis si ce n’est pas sur leur écran, ça va être sur l'écran d'un copain.

 Il faut aussi qu'il soit au courant et ne pas avoir peur d'avoir dit les choses de façon claire pour qu'il sache à quoi s'attendre et qu'il puisse venir nous en parler s'il est choqué.

 

Il vaut mieux avoir préparé le terrain et leur dire « voilà, si tu y vas aussi, enfin s'il y a un copain qui te le montre, on peut en discuter pour que je t'explique comment c'est fait». Ça dépend de l'âge de l'enfant mais on peut expliquer que la pornographie est un commerce, que ce n’est pas la vraie vie, qu’il n’y a pas d’amour etc… On peut ouvrir une discussion sur la sexualité.


Le cas spécial des jeux vidéo

  • Qu'en est-t-il des jeux vidéos?

JR : Le premier message : c'est reculer le plus possible, voire éviter. Mes consultations sont remplis d'enfants très addicts aux jeux vidéos. 

 

Le fait qu'il y ait une demande illimitée à n'importe quelle heure du jour et de la nuit renforce le fait que l'enfant avant 15 ans est incapable de s'autoréguler. On le voit adulte, c'est très difficile de s'arrêter.  On va ouvrir Instagram 10 minutes et 1h après on y est encore, donc imaginez à quel point pour eux c 'est difficile ! Il faut forcément qu'il y ait quelqu'un qui vienne dire stop, même si ça va être un sujet et que ça va faire du bruit.

 

C'est une vraie pédagogie à adopter avec eux, pour leur dire «voilà ce qui se passe, c'est normal que tu n’aies pas envie d'arrêter parce que tout est fait pour que tu ne t’arrêtes pas.  

 

Des conseils concrets pour limiter l’impact des jeux vidéos et des tablettes

  • Avez-vous des conseils à nous donner pour limiter l'impact néfaste des écrans?

JR : Concernant mes enfants, je limite l’usage dans le temps, c'est-à-dire qu'ils ont le droit à 1h le mercredi s'ils ont fait leurs devoirs et tout le reste, c’est donc en fin de journée vers 18h.

 Évidemment je vérifie tout ce qu’ils regardent, je passe régulièrement pour vérifier ce qu’ils suivent. Et si, je vois qu' au bout d'une heure par exemple ma fille n'arrive pas à s'arrêter à un jeu, je lui demande d'enlever ce jeu-là.

 

Je surveille aussi en termes d'addiction, si je vois que ça les rend nerveux et violent, je vois alors que ça les rend dépendant. Je leur dis « attends, regarde dans quel état te met ce jeu, il ne t'apprend rien, il est bête et il te rend violent ». 


Donc par exemple, Fortnite est vraiment à prohiber. Parce que non seulement ça rend addict les enfants, mais ça les rend aussi violents. J’ai déjà entendu des enfants dirent “je continue à y jouer même dans ma tête la nuit”, ça veut dire que ce jeu a envahi leur cerveau. Ça devient compliqué après de se concentrer à l'école, se concentrer pour faire de la musique ou même de lâcher complètement et de rêver. Ça prouve à quel point le jeu a une emprise sur le cerveau des enfants.

 

Je sais que les enfants entendent parler des jeux dans les cours de récréation, donc c'est cette influence-là qui vient générer leur envie de télécharger tel ou tel jeu. Et c'est pour ça que que j'entends des parents qui me disent « oui mais on ne peut pas faire autrement maintenant on vit avec ces écrans donc il va falloir s'y faire ». 


Alors oui et non, ces écrans sont des outils et c’est formidable sur bien des points, notamment pendant le confinement, c'était bien que les réseaux sociaux soient là pour que nos ados restent en contact. Mais on peut aussi recréer une pédagogie, une discipline autour de ces écrans et c'est et ça me paraît essentiel.


Mon message, c'est vraiment d'inviter les parents à s’auto-discipliner mais aussi à trouver la bonne pédagogie pour accompagner leurs enfants à garder ces  réseaux, ces écrans, à leur place d'outils de loisirs, de temps en temps.

 

On peut vivre avec, mais pas vivre pour. Les enfants et les ados qui commencent à avoir un comportement addictif, vivent pour jouer, pour regarder la vidéo qu'ils ont raté, et puis ces jeux-là aussi les incitent à faire ça :  par exemple dans certains, les messages indiquent que si tu te connectes avant 16h tu auras 10 pièces. Donc il faut se connecter avant 18h et ça devient une priorité dans leur journée d’enfant.


L’invasion du portable

  • Que pensez-vous de l'engouement autour du téléphone portable?

JR : Là aussi, il faut repousser le plus tard possible. J'ai été rassurée de voir un groupe Facebook contre les portables avec plus de 45000 membres… c'est énorme parce que à force d’entendre nos enfants nous dirent qu'ils sont les seuls à ne pas avoir de portable, on pense que c’est vrai. Mais non ! Nous ne sommes pas seuls à résister et à remettre les choses à leur place. On peut remettre de la musique, on peut remettre de l'ennui, on peut remettre des jeux de société. Mais il faut que les parents aussi créent ça.

 

Et nous les parents avec nos portables..

  • Influence-t-on nos enfants avec nos propres portables?

JR : On a des neurones miroirs dans notre cortex préfrontal qui nous font agir par mimétisme, donc les enfants vont faire comme les parents. S’ils nous voient sur notre portable, il n’y a aucune raison qu'on leur dise non à eux. 


Effectivement, c’est de l’auto-discipline de se dire « quand mes enfants rentrent de l'école je le pose pendant 1h, quitte à reprendre le boulot après ou à le prendre quand on se couche.  


 

Même si les écrans sont là, on peut toujours faire machine arrière…

  • Pouvons nous enlever les écrans à nos enfants quand ils y ont déjà touchés?

JR : On peut toujours mettre un stop. En tant que parent, on a évidemment peur d'enlever la prise, on se dit que ça va être pénible etc.. selon l'âge et la personnalité de l'enfant ça peut être pénible effectivement. Il peut faire une crise, mais pour la plupart des patients que j'accompagne, ça dure un temps et parfois c’est beaucoup plus court que ce à quoi les parents s'attendaient.

 

Il faut aussi que les parents proposent des alternatives et pas “je t’enlève l'écran, je m'occupe pas de toi, je pars bosser”, il faut au départ leur redonner un peu de repères, leur proposer des choses à faire.

Donc ça va être un peu coûteux aussi pour le parent de se réinvestir dans la relation avec les enfants, mais c'est aussi se re questionner sur quel lien j'ai envie de créer. Au final, on se demande à chaque fois “Mais pourquoi je ne l'ai pas fait plus tôt, pourquoi je n'ai pas enlevé la switch avant” parce que finalement on a retrouvé du calme, la sérénité, notre enfant dort mieux, les repas sont sympas, on parle de plein de trucs. On retrouve plein de moments agréables ensemble.

 

Les angoisses des parents

  • La peur parentale pousse t-elle à l'achat d'un portable?

JR : On donne un portable à son enfant, quand il commence à aller à l'école tout seul, parce qu'on a peur qu’il lui arrive un truc…Mais il y a des traceurs, il y a des montres connectées si on a vraiment peur et qu'on veut tracer notre enfant. Ce n’est pas ça qui va le prémunir du risque, mais il y a des outils qui existent sans passer par le téléphone. Et il y a des téléphones à clapets avec 4 touches et pas de connexion internet. C’est juste le téléphone d'urgence en cas de pépin. Et c’est très bien. 

 

Il ne faut pas se servir de l'excuse d'avoir peur pour ses enfants pour leur donner un full access internet avec le téléphone.

Et si quand bien même on aurait envie de leur donner un full access, où s'ils ont 14 ans ou 15 ans et qu'on leur passe le téléphone du parent ou autre, on désinstalle toutes les applications, on désinstalle YouTube. 

Et on attend qu'ils soient en demande, on attend de voir et on en discute ensemble avant d'installer des jeux, et surtout on enlève toutes les notifications.

 

Le mot de la fin


JR : Communiquons, anticipons, disons leur qu’ils ne seront jamais punis, jamais jugés s' ils tombent sur des images qui les heurtent ou qu’ils ont trouvé moches etc..On en parle ensemble et à tous les parents, on résiste le plus longtemps possible aux  jeux vidéos et à la switch.

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