Occuper les enfants, c'est souvent le casse-tête des mercredis pluvieux, des retours d'école ou des vacances sans programme. On sent bien que le fait de les laisser errer sans but dans la maison, peut parfois finir en pugilat. Pourtant, une idée revient fréquemment dans les discussions parentales : "Il faut les laisser s’ennuyer, c’est bon pour la créativité !".
Sur le papier, l’idée est belle. Mais dans les faits, l'ennui n'est pas toujours un moteur de créativité. Et surtout, il n’a rien d’évident pour les enfants, surtout s’ils ne savent pas quoi en faire. Laisser un enfant face à lui-même sans repère, sans accompagnement, ce n’est pas lui offrir un espace d’exploration : c’est souvent le plonger dans le flou, l’agitation voire mêm l’angoisse.
Car s’ennuyer, ça s’apprend. Comme la lecture ou le vélo, cela demande un cadre, du temps, un environnement nourrissant et un peu de modélisation.
Alors, concrètement, comment aider nos enfants à apprivoiser ces temps de vide ? Comment transformer l’ennui en une opportunité plutôt qu’en souffrance ou en passage à vide ? Voici quatre leviers concrets pour les accompagner dans cet apprentissage essentiel.
S'ennuyer ça s'apprend - 1,2,3 kiD
Créer un cadre sécurisant : l’ennui ne doit pas être un abandon
« Laissez-les s’ennuyer ! » Oui, mais pas n’importe comment. Chez les plus jeunes (2-4 ans), l'ennui sans cadre peut vite se transformer en chaos : murs repeints au feutre, batailles improvisées, cris désespérés... Ce n'est pas de la créativité, c'est un appel à l'attention.
Pour qu'un enfant profite pleinement de ces moments de vide, il a besoin de repères, de limites claires et de présence. On peut laisser un enfant explorer sans imposer, mais il faut être là, en soutien discret, pour l'aider à ne pas se perdre. Ce que Donald Winnicott appelait la "sécurité de base" permet à l'enfant de se sentir assez en confiance pour investir l'instant, même s'il semble vide.
Chez les 5-7 ans, ce cadre peut être une routine : un temps calmes sans écran(s), un coin avec des matériaux simples (papiers, bouts de bois, cartons), et un adulte qui observe sans diriger. L’idée n’est pas d’être passif, mais de créer un espace dans lequel l’imagination peut surgir sans pression.
Nourrir l’environnement : on ne tire pas du vide de rien
C'est hautement philosophique et il n'est pas certain que cela soit un concept physique mais, dans la situation qui nous intéresse, un enfant ne peut pas tirer profit de l'ennui s’il n’a jamais rien à transformer. Pour que l’imagination fonctionne, il faut qu’elle ait été alimentée par des expériences, des images, des sons, des sensations.
Chez les 2-3 ans, cela peut passer par des balades régulières, des comptines, l’observation du quotidien (la pluie sur la vitre, les fourmis sur le trottoir). Pour les 6-10 ans, il s’agit d’exposer l’enfant à des choses différentes : un musée, une histoire qu’il ne comprend pas encore totalement, une sortie dans un lieu inconnu.
Le psychologue Peter Gray, spécialiste du jeu libre, explique que la créativité naît de l'exploration autonome mais également de la diversité des stimuli. Un enfant qui a vu, entendu, touché, rencontré, pourra ensuite rejouer, inventer, transformer. À l’inverse, un environnement trop pauvre ou trop répétitif appauvrit l'imaginaire.
Montrer l’exemple : l’ennui n’est pas honteux
Combien de parents paniquent dès qu’un moment de flottement survient ? L'ennui est souvent associé à l’improductivité, et donc à une forme d'échec. Or, les enfants apprennent par mimétisme.
Si nous même acceptons de faire des choses inutiles avec joie — dessiner sans but, lire un poème, jardiner en silence, marcher sans destination —, alors l’enfant comprendra que le vide peut être fertile. Serge Tisseron parle de "temps d’errance constructive", ces moments où l’esprit vagabonde sans contrainte et où les idées naissent souvent par surprise.
À 8 ou 10 ans, un enfant peut tout à fait comprendre que l'on fait parfois les choses pour le simple plaisir de les faire. L'ennui devient alors un territoire personnel, un refuge, et non une punition.
Adapter selon les profils : l’ennui n’est pas universel
Tous les enfants ne vivent pas l’ennui de la même façon. Pour certains, il est source de joie, de calme, d’imagination. Pour d’autres, il est angoissant, frustrant, voire insupportable.
Un enfant TSA, par exemple, peut vivre l’absence de stimulation comme un vide extrêmement stressant. Pour lui, les temps "sans rien" doivent être ritualisés, balisés, et assortis de repères rassurants. Un enfant HPI ou hypersensible peut, lui, se désintéresser très vite ou ressentir une intensité émotionnelle à l’inaction. Il faut alors proposer un cadre plus souple, mais riche en ouvertures (carnet à idées, boîte à curiosités, trousse à expérimentations...).
Apprendre à s’ennuyer, c’est aussi comprendre que ce n’est pas une formule magique universelle, mais un chemin à personnaliser. Cela implique de reconnaître la souffrance qui peut en découler et ne pas la minimiser.
En résumé : l’ennui, oui, mais accompagné !
L'ennui est un terrain d'apprentissage puissant, à condition d'être sécurisant, nourri, incarné et adapté. C’est un muscle à entraîner, pas une sanction à subir.
⭐ Petites pistes à tester avec vos enfants :
- Instaurer un "temps de vide" dans la journée (10-15 min, sans écran ni consigne).
- Créer un "coin à rien faire" avec des objets non dirigés.
- Montrer l'exemple en faisant une activité gratuite et inutile.
- Observer comment chaque enfant réagit à l'ennui pour ajuster.
- Raconter une fois où toi vous vous êtes ennuyé enfant... et ce qui a été créé.
Parce que s’ennuyer, ce n’est pas ne rien faire. C’est commencer à faire place à soi.